Homélie du samedi 1 novembre, Toussaint

« ÊTRE PAUVRE DE CŒUR »
Quatre couples d’amis étaient assis à la même table. Leurs verres étaient pleins et leurs assiettes bien garnies. À mi-repas, la conversation s’est orientée vers l’actualité : ils ont parlé des étrangers et des immigrés. Le débat s’est enflammé, et chacun a repris le slogan répété, le cliché véhiculé par les médias… Tout le monde semblait à l’unisson.
Pendant ce temps, l’un des convives, resté silencieux quelques minutes, a ouvert la bouche et a dit : « Je ne suis pas d’accord avec vous, et je vais vous dire pourquoi. Pour moi, chaque personne est une histoire sacrée ; j’y crois, laissez-moi vous le dire. » Imaginez le silence qui a suivi, tandis que les yeux et les fourchettes plongeaient dans les assiettes.
Ce soir-là, lors d’un repas entre amis, un événement nous a révélé ce qu’est le Royaume de Dieu : un homme a osé quitter la foule pour dire : « Je ne suis pas d’accord ! » au nom de sa foi en l’homme et, dans ce cas précis, au nom de sa foi en Dieu.
N’est-ce pas ce qui s’est passé au sommet d’une montagne en Palestine il y a 2 000 ans, lorsqu’un homme, Jésus de Nazareth, debout devant ses disciples qui avaient quitté la foule pour le suivre, « ouvrit la bouche », commença à les instruire et à leur parler du bonheur, mais pas du tout comme le monde le décrit ?!
Ce sont ces disciples qu’il déclare « bienheureux ». Saint Luc, dans son Évangile, sera encore plus précis, car il écrira : « Levant les yeux vers ses disciples… ». Et que leur dit-il ? « Heureux êtes-vous, vous qui êtes pauvres de cœur, car le royaume de Dieu est à vous ! »
Telle est la puissance interpellante de Jésus. Et les six autres béatitudes sont là pour illustrer la première, celle de la pauvreté de cœur. Quant à la dernière, elle apparaît comme la conclusion : « Oui, si vous vivez ainsi, attendez-vous à être persécutés, car cela empêchera les gens de dormir ; cela les troublera, et comme les gens n’aiment pas être dérangés, vous serez persécutés. » Les Béatitudes, si nous voulons les prendre au sérieux et, surtout, les vivres, nous placent en situation de contestation et nous font prendre des risques. Oui, à certains moments, elles nous poussent à dire, et surtout à vivre, un « je ne suis pas d’accord » au nom de notre foi.
Pourquoi Jésus déclare-t-il ses disciples « bienheureux » ? Parce qu’ils sont pauvres de cœur, parce qu’ils sont libérés de tout ce qui pourrait entraver leur liberté. En effet, la joie est le fruit de la liberté.
Mais de quelle pauvreté Jésus parle-t-il ? Il parle de la pauvreté qui nous permet de croire, d’espérer et d’aimer.
Les pauvres sont ceux qui ont confiance en Dieu. Quand on parle de fiancés, on parle de deux personnes qui se font confiance, qui comptent l’une sur l’autre. La méfiance rend malheureux. Faire confiance, c’est accepter un certain abandon : ceux qui crient à Dieu au milieu de leur souffrance ou de leur confusion sont ceux qui ont toujours confiance en Dieu.
Les pauvres sont aussi ceux qui attendent. Les riches ne peuvent attendre ; ils sont pleinement satisfaits. Les pauvres sont toujours tournés vers un avenir qu’ils espèrent meilleur. Leur vie est une quête, et chaque signe qu’ils rencontrent les remplit de joie et les pousse à aller de l’avant. Les pauvres sont ceux qui acceptent d’être interpellés par la Parole de Dieu. En effet, se remettre en question n’est possible que pour ceux qui espèrent devenir meilleurs.
Les pauvres sont ceux qui aiment. Parce qu’ils ne sont pas pleinement satisfaits d’eux-mêmes, les pauvres sont disponibles pour servir leurs frères. Loin de leur égocentrisme, ils ouvrent les yeux et voient ceux qui attendent leurs gestes d’amour ; ils entendent les cris de leurs frères et sœurs et tendent leurs mains vides vers ceux qui sont dans le besoin. Leur pauvreté leur permet de recevoir et, en même temps, de donner le peu qu’ils ont.
Les Béatitudes vont à contre-courant dans bien des situations, car un homme à, un jour, osé dire à ses disciples : « Vous êtes du monde, et en même temps vous n’êtes pas du monde… Vous n’êtes pas du monde du chacun pour soi, de la consommation, de la violence, de la vengeance… Et devant ce monde, vous devez dire : Je ne suis pas d’accord ! Vous serez certainement persécutés, ou du moins on se moquera de vous, ou on tentera de vous réduire au silence. Vous serez heureux, car vous montrerez où se trouve le vrai bonheur. »
En ce jour, nous célébrons tous ceux qui prennent les Béatitudes si au sérieux qu’ils sont pleinement heureux aujourd’hui. Voulons-nous connaître le bonheur maintenant ? Il nous suffit d’avoir un cœur pauvre.

3 novembre 2025